15 juillet 2006

Fact25


Image Hosted by ImageShack.us

«Closer» était arrivé dans un contexte tout à fait différent. Ian Curtis s’était pendu au mois de mai à Manchester quelques jours après les dernières sessions, la veille du départ prévu du groupe pour l’Amérique ; en Angleterre, Joy Division était en passe de devenir une grosse affaire. Curtis était un épileptique, un schizophrène, c’est entendu : c’était surtout quelqu’un d’extrêmement timide, tantôt exubérant, tantôt muet. Sa mort sordide, discrète, n’était en tout cas pas prédestinée par une musique morbide, malsaine, ou je ne sais quoi, suivant les clichés qui collaient à Joy Division. La musique de Joy Division était pure. Le problème n’a pas suffi à guérir Curtis. Le plus poignant dans «Closer» réside assurément dans cette brusque timidité qui s’était subitement emparée de la voix de Ian Curtis. Au lieu d’appuyer ses inflexions mélodramatiques, il cherchait presque maladroitement un timbre lumineux et apaisé. La première face de «Closer» présentait un développement extrême de «Unknown Pleasures» : morceaux désarticulés, jungle sonore et rigidité rythmique implacable. Avec ce roulement percussif sourd et animal et cette guitare désincarnée, le calme de la basse et de la voix en contrepoint, «Atrocity Exhibition» offre une sorte d’introduction rituelle à «Closer». Jusqu’à «A Means To An End», on s’enfonce dans un chaos effrayant, mais toujours resplendissant. Mais la deuxième face, vraisemblablement enregistrée un peu plus tard, en même temps que l’indispensable 45 tours «Love Will Tear Us Apart», va là où personne ne s’est jamais aventuré. Pas d’expérience progressive, pas de complexité d’arrangement, simplement une limpidité apaisée et souveraine. «Heart And Soul», «The Eternal» et «Memories» changent la densité de l’air dans la pièce où vous écoutez ce disque : tout retombe, s’épaissit et rayonne. Piano à la Satie, mellotron démodé et ingénu, «Memories» arrache des larmes de délivrance. Avec ceux de John Cale, les disques de Joy Division sont les seuls où les ballades aient un sens fondamental. «Closer» a bénéficié d’une conjonction miraculeuse, c’est un disque magique et impalpable. Au risque de me répéter, je ne vois que «Get Happy!!» pour avoir un propos si ferme, décisif et nécessaire. Et au train où vont les choses, je ne crois pas que je parle de l’année 1980, mais de la décennie.

Michka Assayas Rock & Folk n°170 de mars 1981

Aucun commentaire: